Milieux aquatiques : Travaux 2012

Aménagements piscicoles : l’histoire d’une réalisation.

Nous sommes le 5 octobre 2012 et je suis là, en contemplation devant deux ombrets en train de nympher dans une belle veine d’eau qui se forme entre deux blocs rocheux. Sur le fond, un banc de vairons papillonne. De temps en temps, ils envoient des éclairs argentés en piochant dans des graviers débarrassés de toutes leurs impuretés par la force de l’eau s’engouffrant entre ces deux blocs. Il y a moins de trois semaines, au même endroit, une lame d’eau uniforme coulait lentement sur une couche de sédiments fins tellement colmatés que la moindre larve avait déserté l’endroit.
Je reste là à essayer de deviner combien de centimètres ce nouveau courant salvateur a réussi à creuser dans le lit malgré les faibles débits de ces dernière semaines, puis, certainement distrait par la vision de ces petit étendards au reflet bleu, enfin libéré des inquiétudes et des doutes, je laisse mon esprit divaguer. Je sens un espoir naître, l’espoir que cette aventure qui se termine soit le début d’une autre que la nature devra gagner.
Le travail accompli devrait l’aider, et c’est la moindre des choses que l’on devait à cette rivière après les agressions que nous lui avons fait subir depuis tant d’années.
C’est en fait en 2004 que cette aventure a commencé. La sécheresse de 2003 avait anéanti toute vie aquatique sur tout l’aval du parcours de notre AAPPMA et il fallait bien faire quelque chose. Les premières mesures (les plus rapides à prendre) avaient concerné la taille de capture et le nombre de prise. En augmentant la taille minimum à 40 cm et en limitant le nombre de captures à une truite fario par jour, nous avions atteint les limites de nos possibilités en terme de gestion des prises. Conscients des limites de ces mesures, il nous fallait néanmoins résister au sacro-saint déversement d’alevins de truites fario, sensé redonner le sourire aux pêcheurs dès qu’un évènement imprévu vient diminuer le cheptel d’une rivière. En 2004, après une sécheresse ayant laissé l’aval du parcours sans une seule goutte d’eau pendant plusieurs mois, un pari sur la reproduction naturelle dans une rivière déjà largement dégradée était loin d’aller de soi. Les bénévoles et le conseil d’administration très motivés ont néanmoins réussi à persuader la centaine d’adhérents de notre petite société d’investir dans l’avenir en faisant le maximum pour faciliter la colonisation du parcours par des poissons sauvages.

La décision des pêcheurs de faire confiance à une équipe fut d’autant plus facile que l’argent nécessaire pour ces aménagements serait trouvé dans des manifestations organisées par les bénévoles. Ce principe de financement permettait de continuer l’halieutisme avec des déversements réguliers de truites arc en ciel et la poursuite de la promotion pêche auprès des jeunes avec les parcours moins de 12 ans et moins de 16 ans. Le risque était clairement l’essoufflement des forces vives déjà bien occupées par les entretiens, la pose des fils anti-cormorans, les déversements et la garderie.La réussite de cette méthode élève ce projet au rang d’aventure humaine et prouve bien à quel point les hommes peuvent s’attacher à « leur » rivière.

Dès fin 2004, c’est avec Jean-Philippe, technicien à la Fédération Départementale de Pêche, qu’une réflexion sur les dysfonctionnements physiques limitant les populations piscicoles sur notre parcours fut engagée. Rapidement, tous les stigmates des milieux aquatiques recalibrés mécaniquement apparurent comme une évidence.
La banalisation des écoulements, le faible nombre d’habitats piscicoles, l’absence de piéges à sédiments grossiers et l’inexistence de lit d’étiage se dégagèrent comme les principaux obstacles à l’évolution des populations en place. Sans être la panacée, les aménagements minéraux en épis et en bloc-abris paraissaient être la solution la plus appropriée pour répondre à ces dysfonctionnements étant donné la puissance de la rivière en période de crue.
Des aménagements de type végétaux auraient peut-être été mieux intégrés dans le paysage mais les berges abruptes et l’incision du lit ayant conduit la ripisylve à se percher en haut de berge, les travaux auraient été plus lourds et plus incertains. Les deux années qui vont suivre, pendant que les bénévoles de l’AAPPMA ne ménagent pas leur peine pour organiser concours de pêche, exposition, concours de belote… pour mettre de coté les 5000 euros nécessaires au cofinancement des travaux avec la Fédération National et Départementale, le dossier se met en place : rencontres et persuasion des propriétaires riverains, rédaction des dossiers d’autorisations administratives, plans, contact des entreprises….
il faudra attendre octobre 2007 pour le début des travaux. Le 15 novembre 2007, juste après la fin des travaux , j’écrivais déjà cela pour la presse : « La mise en place sur 500m de plusieurs tonnes de blocs rocheux selon des techniques de génie piscicole a redonné à la rivière un visage étonnamment plus sauvage où le pêcheur trouvera un lieu de choix propice à l’exercice de sa passion. La diversification des écoulements résultant de ces aménagements aura également pour effet d’améliorer les capacités autoépuratoires de la rivière vis à vis de la qualité de l’eau. »
L’aventure aurait donc pu se terminer en 2007 mais c’était sans compter sur la dizaine de belles truites décidées quelques semaines plus tard à frayer juste à l’angle d’un épi récemment construit. Ce spectacle magnifique me fait encore aujourd’hui parcourir chaque mètre de rivière en novembre et décembre à l’affût de la moindre tache claire de gravier. et de la moindre ombre furtive pouvant localiser une frayère. Ce semblant de réussite à nos yeux nous a également conduit à une évidence : en amont des 500 mètres aménagés, il reste 500 mètres à faire et quoiqu’il nous en coûte, ils devront être aménagé également.

La suite, vous l’avez compris, nous pousse en 2012. L’émergence d’un contrat de rivière et l’intégration de ces nouveaux travaux dans une des fiches action n’accélérera pas les choses mais elle permettra, avec un projet plus ambitieux, des financements plus répartis avec des financeurs institutionnels comme l’Agence de l’Eau et le Conseil Régional rendant l’ardoise ainsi moins sévère pour l’AAPPMA et pour les collectivités piscicoles.
L’expérience acquise en 2007 facilitera les contacts avec les riverains qui nous font désormais confiance. Elle permettra surtout de tirer les enseignements des travaux existants.
Le piégeage des sédiments n’étant pas à la hauteur de nos attentes, les anciens aménagements seront renforcés et les nouveaux seront construits plus imposants. Les aménagements minéraux seront également couplés à une recharge sédimentaire provenant d’atterrissements retirés d’un affluant amont sur une zone urbaine à fort enjeu d’inondation.

En plus de leur participation pour trouver les finances, les bénévoles ont été cette fois-ci directement sollicités pour faire les bûcherons et ce n’est pas moins de 6 séances de bûcheronnage auxquelles ils auront participé pour rendre la rivière accessible aux engins de chantier.
Comme en 2007, c’est une pelle avec un bras de 18 mètres qui sera utilisée pour installer les blocs rocheux permettant ainsi de travailler depuis la berge afin de pas détériorer le fond du lit et de limiter au maximum les risques de pollution aux hydrocarbures. En quelques jours, un par un, les cailloux trouvent leur place comme dans un puzzle laissant apparaître lentement le paysage d’un cours d’eau retrouvant la vie que l’on n’aurait jamais dû lui ôter.

Quelques fois bien étrange, ce tableau d’un géant d’acier déposant délicatement des rochers de plusieurs centaines de kilos sous les ordres du chef d’orchestre de ce chantier : Julien, le nouveau technicien de la Fédération de Pêche de Côte d’Or qui va nous parler du coté technique :

« Ces travaux interviennent en renfort d’aménagement réalisés voici déjà quelques années. Leur impact sur le transport solide (charriage) a été inégal suivant leur implantation et leur espacement.Néanmoins, leur intérêt en termes d’amélioration de l’habitat a été indéniable, sur un tronçon de cours d’eau alors rectiligne et aux habitats assez banalisés. C’est pourquoi avec l’AAPPMA la Fario nous avons vu l’intérêt de ce projet pour ce secteur de la Tille.
Très incisé, ce secteur présente des hauteurs de berges importantes avec très peu de matériaux terreux, un fort recouvrement végétal par une ripisylve assez homogène de hautes tiges. Les possibilités de travailler en génie végétal avec un panachage de techniques telles que des boutures, banquettes, risbermes sont alors très limitées et nous ont conduits à préférer des techniques minérales. Nous avons ainsi créé et rechargé des épis en alternance, disposés des blocs abris en réseaux sur les radiers et dans certaines zones profondes sur plus de 550m pour constituer des habitats dans le lit et surtout casser l’uniformité des écoulements.
L’objectif est alors bien de dynamiser et influencer ce transport solide, car c’est lui qui conditionne la création d’une véritable mosaïque d’habitat recherchée par l’ensemble de la faune aquatique. En effet, en période de crue le débit est tel sur cette portion de cours d’eau que les sédiments grossiers charriés par le cours d’eau ne peuvent se déposer. En disposant ces blocs et épis, le but est de casser les lignes de courant afin de créer des zones de dépôt, de dissipation de l’énergie et remodeler ainsi progressivement ce tronçon.

Préalablement, nous avons fait des mesures de débits, de la topographie afin de modéliser les aménagements et évaluer leur impact suivant les conditions de débits. L’élévation des niveaux d’eau s’avère dès lors très faible quelques soient les débits, ces travaux n’augmentent pas les débordements. En parallèle nous avons inventorié le peuplement piscicole et de macroinvertébrés en place.
Une sonde thermique a été posée de mai à octobre pour suivre l’évolution de la température sur le secteur. L’influence des seuils et biefs situés en amont est criante, avec des températures dépassant les 22°C de moyenne sur plusieurs jours (la truite fario meure passé 20°C environ, suivant le taux d’oxygène disponible). Ces travaux pourraient avoir un impact positif sur ce paramètre, sans bien sur le solutionner.
Concernant la mise en place du chantier, tout a été réalisé depuis la berge au moyen d’une pelle hydraulique avec un bras de 18m, ce qui nous a permis de déposer exactement nos blocs à l’endroit voulu sans perturber le lit (merci Laurent pour ta dextérité !!) et les agencer parfaitement selon le plan pressenti. Au vu de la puissance du cours d’eau nous avons choisi d’utiliser des blocs de taille importante pour maximiser l’influence sur les écoulements. Nous avons également eu la chance que le syndicat de rivière local, en plus de nous prêter main-forte dans la réalisation de ce projet, nous mette à disposition des matériaux issus de travaux sur des atterrissement réalisés en traversée de village juste à l’amont, afin de rendre ces sédiments au cours d’eau, apportant ainsi un petit complément de recharge granulo, toujours bénéfique sur un cours d’eau en déficit sédimentaire tel que la Tille sur ce secteur.
Enfin, afin de suivre l’évolution de ces travaux et leur impact sur le milieu, un suivi biologique sera conduit sur les années à venir.
En tout cas un grand bravo à l’AAPPMA et son équipe de bénévoles qui a porté ce projet à bout de bras, qui a travaillé dur jusqu’à sa réalisation et continue de suivre avec passion l’évolution du cours d’eau. »

Un grand merci Julien pour son travail.
Nous revoici donc le 5 octobre 2012 et le spectacle de ces deux ombrets qui gobent maintenant
pourrait bien me conduire à une évidence. Il reste tant à faire, et quoiqu’il nous en coûte……………

Alain GAUDIAU

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